Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Café psy
  • : Débats ouverts à tous, chaque 2ème et 4ème mercredi du mois, 20h, "Aux Délices Royales", 43 rue Saint Antoine, Paris 4ème, Mt Bastille ou St Paul
  • Contact
29 septembre 2008 1 29 /09 /septembre /2008 22:22
 

              Le précédent épisode de notre aventure, humaine s’il en est, avait pour cadre la montagne, restons y ! En haut, nous avions le glacier, symbolisant l’être, puis, symbolisant le sujet, un charmant petit torrent prenant naissance aux frontières de l’être en question. Nous étions flux, désir, affect, symptôme, etc… nous descendions la pente, à présent, remontons la. Nous étions liquide, devenons solide. Nous étions élément, inconscient, réel, devenons réalité, volonté, conscience, ou à peu près. Dorénavant, notre présence est palpable, nous sommes randonneur.

              Donc, pour cette nouvelle aventure, nous voila débarqués, au terme d’un voyage de neuf mois, sur le terrain de nos futurs exploits. Devant nous, un large sentier, bien balisé, et puis nous sommes attendus. Faut dire que la grande randonnée ne s’improvise pas, que le terrain est piègeux, qu’il n’est pas question de se risquer sur la montagne à l’horizon sans une solide initiation, pas plus que sans un matériel adapté. Nous allons devoir apprendre à marcher, soutenir le rythme, déchiffrer les innombrables symboles qu’utilise l’autochtone afin de se repérer et communiquer, d’autant qu’il y en a partout (des symboles et des autochtones). A se demander, même, s’il n’y en a pas trop. Certes, le tour-operator a bien fait les choses, la société qui gère le site n’a pas lésiné sur les moyens. Si le sentier principal, autant dire la voie royale, croule sous les panneaux indicateurs et publicitaires, il en va de même pour les voies sans issues, balisées et éclairées à outrance, rien de plus facile que de s’y perdre. En plus, chacun y va de son commentaire, c’est bien compliqué.

              Une fois parti, plus question de s’arrêter, suivez le guide, une femme charmante, ainsi que son compagnon, plus technique, mais très sympathique aussi. Leur action, aux premiers temps de notre progression, sera décisive pour éviter que l’on s’embourbe dans ces passages obligés que l’on nomme stade oral, anal et génital. Ensuite, c’est plus calme; on marche dans cette haute vallée appelée latence, et ce, jusqu’aux premières neiges, dites de l’adolescence. C’est beau, c’est grand, c’est sauvage… ça sent la liberté. Nos guides sont bien gentils, on les aime beaucoup, mais il est temps de passer devant, sortir de la trace et créer la notre. Et puis, là bas, il y a cette jolie randonneuse dont la démarche fluide nous invite à quelques détours prometteurs. Pour la randonneuse c’est pareil, sensible à ce viril mollet croisant non loin d’elle. Bref, sans trop distancer nos guides, juste d’atteindre à plus d’aisance hors de la cordée, il est l’heure de définir notre horizon, de nous affranchir de la sacro-sainte prudence que l’on nous rabache depuis le départ et d’ouvrir notre voie dans cette neige, qu’innocent nous croyons encore vierge, d’accéder enfin à la jouissance, sans entrave, libre! Autant dire qu’on n’est pas arrivé, et c’est tant mieux.

              Maintenant que le décor est planté, je me permettrais une distinction on ne peu plus subjective entre les mots trace et empreinte, de la même manière qu’il y a devant et derrière, alors qu’en l’occurrence il suffit de se retourner pour inverser l’ordre des choses, culbuter l’ordre symbolique, ouvrir sa trace en somme. Disons que l’empreinte sera ce qui est derrière, en nous, ce que la culture et les contingences auront gravé en nos tréfonds, sorte de moule dans lequel se formera le sujet. Ainsi, l’empreinte est ce qui s’incruste, ce qui reste de l’expérience, c'est-à-dire difficilement accessible. La trace, elle, est devant, elle est balisage, creusée par un ouvreur, un désir étranger, elle est direction, chemin, et il est toujours hasardeux d’en sortir. Quant aux éventuelles traces que nous laisserions, à moins de les transformer en empreintes, elles n’ont généralement d’utilités que d’affirmer notre passage, flatter notre égo, avant que ne tombe une nouvelle neige.

              Sortir de la trace est secondaire, impossible, ou tellement facile selon la forme de notre vécu, des empreintes qu’il aura laissé en nous. Ce qui importe, qui est de notre nature, c’est de vivre créativement, et je ne suis pas sur que sortir de la trace soit d’une impérieuse nécessité pour ce faire. Je crois que seul le regard que l’on porte au monde, la manière dont nous l’interprétons, dont nous le créons, est important. Pour que la montagne soit belle, qu’elle soit notre création, il n’est pas besoin de la souiller d’une nouvelle trace, mais de la regarder et d’y monter. Refaire le monde n’est pas une utopie, c’est le quotidien du grimpeur. Quant à la montagne, elle est là, c’est tout. De toute manière, lorsque pour progresser plus rapidement et plus efficacement nous posons le pied dans une trace existante, c’est alors le dessin (dessein) de notre semelle qui y apparaît, de sorte que la trace devient nôtre. Ici est l’histoire de l’art et de la pensée, un nouveau dessin (dessein) dans la trace, avec, de temps à autre, un pas de coté, l’amorce d’un nouvel itinéraire. Reste de savoir si notre marcheur, alors bienheureux, se satisfait de regarder ce qu’il croit être son empreinte, ou s’il poursuit un but plus élevé. Là aussi est l’histoire de l’art et de la pensée, dans cette pollution consistant à piétiner le milieu pour y dessiner sont nombril à coups de talons (plus que de talent). L’essentiel de notre liberté n’est donc pas d’ouvrir de nouvelles voies, mais d’apprendre à choisir la trace qui nous permettra de progresser et, peut être, s’imposera alors la nécessité d’inventer un nouvel itinéraire, mais la liberté est avant tout celle du choix entre des traces nous semblant accessibles.

              S’il est donc possible, bien que de façon limitée, de choisir la trace dans laquelle poser nos pas, au grés des opportunités qu’il nous seras données d’apercevoir, il en va autrement de ce que la vie imprima en nous, de ce qu’elle laissa d’empreinte dans nos âmes plus ou moins malléables, surtout en début de parcours. De ces empreintes, j’en vois deux sortes : celles que l’on peut dire normales, culturelles, qui s’inscrivent dans une progression continue, régulières, qui sont la formation du sujet, et dont le model pourrait être l’habitus, c'est-à-dire l’empreinte du milieu selon Bourdieu. Puis, les ruptures, celles qui brisent la progression, ou qui l’empêche, avec un avant et un après, l’empreinte en tant que pied dans le plat, que l’on nomme alors traumatisme, ou excitation toxique. Ce sont donc ces deux types d’empreinte, constituant le moule dans lequel se développera le sujet, qui déterminerons sa manière d’être et sa structure psychique, qu’elle soit névrotique, psychotique, ou un aménagement limite. De la plupart de ces empreintes, on ne s’affranchit pas, juste peut-on s’y adapter par quelque aménagement caractériel, mais limité par la structure de base.

              S’affranchir de l’empreinte structurelle voudrait dire devenir autre, se défaire de son âme et s’en fabriquer une nouvelle, s’absoudre de l’histoire et se recréer à l’image d’un moi idéal, hors du temps et tout puissant, qui serait pur esprit. Or, à moins d’avoir quelque parenté divine, on imagine assez bien la difficulté du projet. Par contre, si notre structure le permet, après avoir retrouvé la raison, plus communément appelée principe de réalité, en l’occurrence l’orgueil raisonné d’être soi, il est éventuellement possible, sinon de modifier l’empreinte, mais d’en renouveler le contenu. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en permanence par ce travail d’écriture fictionnel consistant à se remémorer. Car c’est bien cela : la mémoire s’écrit, se travail dans le symbolique, elle n’exprime que l’énonçable, l’indicible est ailleurs, il est l’empreinte, le réel, que nous remplissons de réalité, d’une fiction toujours en mouvement, notre histoire. Ceci étant, de considérer l’empreinte en tant que moule, on ne peut pas la remplir de n’importe quoi. On ne fera pas un soufflet dans un moule à tarte, pas plus qu’une quiche dans un moule à glaçons. Toutefois, n’oublions pas que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Mais le pire est que l’empreinte reste vide, que l’on ne parvienne pas à élaborer une histoire pour la combler, que l’indicible soit à fleur de peau. S’affranchir de l’empreinte n’est donc pas d’en sortir, mais d’y cuisiner, d’y travailler, d’en rendre le contenu digeste. C’est d’ailleurs ce que fait l’artiste lorsque il dit de son œuvre qu’elle lui sert d’analyse. Si le terme est usurpé, puisque généralement notre artiste ignore les contours de son empreinte, par contre, il s’acharne à cuisiner dedans, à y touiller du symbolique afin que la surface soit en adéquation avec ce moule qui, lui, ne peut s’écrire.

              Ici est probablement la véritable différence entre psychanalyse et psychothérapie. Non pas entre divan et face à face, entre silence et dialogue, mais dans la manière d’appréhender l’empreinte pour y cuisiner, entendu, dans un cas comme dans l’autre, que ce soit le désir du consultant, ses propres nécessités, et non pas celles du consulté, qui soient cuisinées. Là où la psychanalyse tentera d’éclairer la forme de l’empreinte, de sorte que l’analysant puisse la remplir d’une fiction suffisamment cohérente, la psychothérapie, elle, creusera la surface de l’histoire, mais la finalité est identique. Là où d’aucun cherche une "parole vraie", ici on cherche le vrai dans la parole. Autrement dit, et pareillement, une fiction adéquate. Disons que l’empreinte est la vérité de notre histoire, le réel, qui pose le personnage principal, nous même, dont il nous faut écrire le roman, et que celui-ci sonne vrai. En fait, nous sommes notre propre scénariste, avec cette contrainte que l’acteur et le contexte, l’empreinte, nous soit imposée par la distribution. On n’écrira donc pas la même histoire pour De Funès ou Schwarzenegger, quant bien même la vérité en eux nous échappe.

              Donc, s’il n’est pas possible de nous affranchir de l’empreinte structurelle, de la vérité en nous, au risque de créer une histoire qui ne tienne pas debout, et que l’on s’écroule, il est d’autres empreintes, contextuelles, dans lesquelles nous pouvons faire différents moulages. Autrement dit, toutes les empreintes ne sont pas de même nature et sont par conséquent susceptibles d’avoir plusieurs destins.

              Ceci posé, il me semble que de spécifier le genre de l’empreinte passe par une distinction quelque peu arbitraire, et pas forcement très nette, entre l’être et le sujet. Disons que l’être se structurerait sous la pression d’empreintes indéformables, qu’elles proviennent du désir de l’autre, des contingences, d’origine biologique, et se traduiraient concrètement en terme de caractère, au sens où l’entend la psychanalyse. Jean Bergeret en dit ceci : «Le caractère constitue le témoignage visible de la structure de base de la personnalité…» De là, Bergeret distingue cinq type de caractère, eux même divisés en sous groupes, auxquels peuvent s’ajouter de manière hétérogène des "traits de caractère". Il y a donc, sans entrer dans le détail, les caractères névrotiques, psychotiques, narcissiques, psychosomatiques et pervers. Ici serait l’être, son empreinte, celle dont on ne s’affranchit pas, comme une empreinte digitale. Quant au sujet, soumis à l’être, il est celui qui, avec des outils culturels, habillera l’être en question. C’est alors l’apprentissage du maniement de ces outils culturels, faisant de l’être brut un être social, qui constitue l’empreinte dont le sujet pourra plus ou moins partiellement s’affranchir. Disons que le sujet est l’enveloppe qui habille et protège le noyau, l’empreinte, l’être, car si ledit noyau se fracture, le devenir du sujet peut légitimement susciter quelque inquiétude.

              Nous aurions donc l’empreinte de base, sorte de noyau creux qu’il nous faudrait remplir et parer joliment, afin qu’advienne un sujet dont l’estime de soi ne soit pas défaillante, et une empreinte culturelle consistant en une initiation à l’usage d’outils, pelle symbolique et autre truelle sociale, pour effectuer ledit remplissage. D’autant que nous devons respecter la forme de l’être, du noyau, sans quoi, dès qu’on y touche, ça bringuebale, d’où l’intérêt d’employer des matériaux souples, une culture pas trop rigide, un peu l’opposé du dogme religieux, qui continu d’habiller à la va vite les êtres de tous poils. J’avançais donc, précédemment, que l’habitus pût constituer le modèle de ce genre d’empreinte culturelle. Voila ce qu’en dit Bourdieu : «L’habitus, c’est ce qui nous pousse à nous comporter ainsi que nous nous comportons. (…) J’ai supposé que le moteur de notre comportement comportait principalement une sorte de sédiment de toute notre histoire, un sédiment en lequel résiderait donc des disposition nous inclinant vers telle ou telle pensée, tel ou tel acte. (…) Nous sommes notre histoire en train d’agir, mais nous sommes aussi, simultanément, cette action en train d’entrer dans notre histoire. (…)» Ce que nous dit Bourdieu, c’est que l’empreinte culturelle agit sur nous, tout autant que nous agissons sur elle, mais en respectant sa forme. Cette empreinte culturelle est donc relativement souple, mais d’y couler une nouvelle forme dépend aussi pour grande partie de la forme de l’empreinte structurelle, le noyau dur, notre structure psychique.

              Tout cela pour dire, en guise de conclusion, que d’espérer s’affranchir de l’empreinte est une illusion, que l’étroite imbrication de l’être et du sujet constitue en soi une telle richesse pour l’écriture de notre roman qu’il serait absurde de chercher à s’en défaire pour de trop instables subterfuges nous éloignant de nous même. Ce qui importe n’est pas de devenir autre, c’est impossible et épuisant, mais d’être soi en rapport au monde, créatif et en mouvement. Si la chose n’est pas forcément aisée, dans notre environnement de faux-semblants et d’immédiateté, de se trouver, de s’approcher au plus prêt de notre être, patiemment, cela revient à ouvrir le robinet de notre flux désirant. Vouloir s’affranchir de l’empreinte, c’est vouloir se priver de soi, du désir en nous, quant bien même ladite empreinte serait toxique. N’oublions pas que l’être n’est pas qu’un assemblage biologique, il est aussi le produit du désir de l’autre, d’une petite et d’une grande culture. Ici est la frontière nébuleuse de l’être et du sujet, celui qui avec des contraintes réelles écrit son histoire, la réalité. Or, si notre propre personnage se retrouve boiteux du fait de quelque coup du sort, bien réel, d’une empreinte toxique, ce n’est pas de vouloir en faire un champion du cent mètre, pas plus que de le poser ad vitam eternam devant sa télé, qui produira une histoire génératrice de plaisir, et par conséquent de désir, avec ses hauts et ses bas. Soit que l’on s’épuise dans l’invraisemblance, soit dans l’ennui. Encore une fois, à nous de produire une histoire, notre histoire, qui respectant le réel en nous, l’empreinte, nous incite à poursuivre le récit du plus riche personnage que l’on puisse imaginer, nous même, inépuisable, assemblage de désirs hétéroclites qu’il nous faut reconnaître dans notre rapport au monde.

              Quant à sortir de la trace, de reprendre la métaphore de notre grand randonneur, s’il veut aller loin dans la montagne, afin de peut-être trouver une neige vierge, il a tout intérêt d’utiliser les traces de prédécesseurs performants pour grimper au plus vite avant que ne tombe la nuit. De toute manière, plus l’on monte, plus la randonnée est belle et gratifiante. D’autre part, tout le monde n’est pas taillé pour la haute montagne, mais tout le monde peut s’y faire plaisir, choisir ses partenaires et la trace qui lui convient. En somme la question de la trace est secondaire, ce qui importe c’est de grimper à son rythme en affinant son regard, un regard singulier, la trace n’est qu’un moyen, pas une fin en soi. Donc, camarades, en espérant que ce soir nous atteignons les sommets espérés, à nos crampons, affûtage des piolets obligatoires, et bonne route!

                                                                                                                                                              GG


   

Partager cet article
Repost0

commentaires