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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 22:51
                   Le sujet, tel qu’il fut proposé et voté, applique au terme passion un pluriel qui me semble relever d’une confusion entre passionné, être en proie à la passion, et passionnant, concernant donc l’objet de notre passion. Ou bien, de rappeler qu’il n’y a de passion que singulière. Ainsi, d’en considérer la plus noble expression, oserais-je dire le mètre étalon, l’amour, chacun l’agrémente à sa manière, s’y abandonne plus ou moins, en fait le cœur de son existence, en partage la saveur avec d’autres objets passionnant, ou la fuit. En sorte que l’on peut dire qu’il n’y a pas deux amours, deux passions semblables, bien que ces élans de formes différentes soient rassemblés par un même vocable d’où l’originalité est exclue. Cela laisse donc à penser que si les transports amoureux, passionnés et passionnants, empruntent des voies différentes, les wagons en sont identiques.

               Ceci étant, au rang des objets de passion, l’amour ne serait qu’un transport parmis d’autres. Citons la passion du jeu, du sport, de la littérature, de la cuisine, de la musique, de la broderie, etc… En fait, autant d’objets sur lesquels projeter un désir suffisamment fort que l’on en revienne à parler d’amour : amour du jeu, amour de la littérature, de la musique, etc. et, bien sur, de l’amour. Passion et amour sont donc ici synonymes, nouvelle imprécision dont nous pourrions commencer de lever l’ambiguïté en suggérant que ce ne soit pas passion qui s’écrive au pluriel, mais amour. Ainsi, entre l’amour pour son partenaire, pour ses enfants ou pour la belote, il semble bien que nous nous situons sur des registres différents, bien que  susceptibles de recevoir une charge émotionnelle à même d’orienter notre destinée.

                  Pour exemple, nous pourrions tracer la limite synonymique entre amour et passion dans la conception chrétienne du "aimez vous les uns les autres." A priori il s’agit bien d’amour, du moins est-ce ainsi que la doctrine nous le propose. Toutefois, parler en ce cas d’une possible passion m’apparaît excessif. Quant à "aime ton prochain comme toi-même", à moins de s’appeler Narcisse, ce qui suppose quand même quelque dérèglement, là aussi la passion se présente hors de proportion. Certes, il parait que le Christ nous aimât avec passion, ce qui, au passage, ne lui a pas réussi. D’autre part, je ne vois pas que l’on puisse mettre en avant la passion du Christ en tant que modèle d’épanouissement. Comme quoi, la passion peut détruire, et même contient-elle en son sein le poison de la morbidité.

                   Afin d’être plus précis quant au sens de nos débordements, j’avancerais cette proposition que la passion soit le combat d’Eros et de Thanatos; l’amour, le triomphe d’Eros, fragile si accessible à la passion; quant à la victoire de Thanatos, elle serait la folie, beaucoup plus solide, bien qu’elle aussi accessible à la passion. En somme, la passion, et non plus les passions, serait la friction entre les deux parties d’un tout, le jour et la nuit, la pulsion de vie et la pulsion de mort, l’amour et la haine. D’ailleurs, l’on peut aimer jusqu’à la haine et haïr jusqu’à l’amour. Perdre l’objet de sa haine produit le même vide, nécessite le même deuil que de perdre celui de son amour. La passion, par essence, est violente, et n’existe à mon sens que dans cette dualité, cette attirance partagée, tant pour l’obscur que pour la lumière. Il n’y a pas de passions sans le plaisir de risquer s’y perdre, sans l’attrait de ce danger, pas plus que sans le désir d’une clarté flamboyante et éternelle. La passion vise à l’absolu, elle est hors du temps, en un combat qui embrase le quotidien alentour. En bref, il n’est pas de petites passions, sinon au pluriel, et si nous sommes d’un cœur assez grand pour que cette passion cible différents objets, deux femmes, deux hommes, un homme et une femme, la passion n’est pas mesquine pour chipoter ce genre de détail, bien qu’à partir de trois l’on puisse évoquer le péché de gourmandise, ajoutons malgré tout et pour exemple le jeu et la littérature, et bien, même en ce cas d’un cœur hypertrophié, d’une nature passionnée diraient certains entre défiance, raillerie et envie, ce n’est pas différentes passions que l’on peut additionner, mais une seule, pas plus que l’on additionne un arbre et un rocher, mais de les intégrer dans un même principe, la nature. Un arbre plus un rocher cela ne fait pas deux arbre-rocher. De la même manière, passion du jeu et passion amoureuse sont deux manifestations d’un unique principe. D’ailleurs, sans le plaisir de jouer sa peau serait-il possible d’associer amour et passion? La nature, comme la passion, sont des principes indivisibles, ou bien nous parlons d’autre chose, de hobby par exemple, certes respectable, mais de nature moins flamboyante.

                   Par convention, lorsque notre désir, et par conséquent notre manque se focalise sur un objet prometteur à même d’éveiller ladite passion, nous avons pris l’habitude de privilégier l’objet au détriment de notre transport, sans quoi nous ne dirions pas "passion amoureuse" au seul bénéfice de l’adjectif, "amoureuse", laissant croire que nous parlons d’amour, alors qu’il s’agit de passion. L’amour se passe très bien de la passion et inversement.

                   A présent, d’aller plus avant, tentons l’approche scientifique par une rigoureuse expérimentation de terrain, effeuillons la marguerite: Je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout… Rien de tel qu’une bonne dissection pour comprendre le fonctionnement des organes:

                   D’abord, laissons de coté ce "un peu", qui suppose une certaine sympathie, mais fixe aussi la distance de sécurité, amour et sympathie n’étant que de lointaine parenté.

                   Avec "beaucoup" nous touchons par le bas le vif du sujet (ce n’est pas sale, c’est de la science). Pour ce faire, prenons le terme dans son sens premier, en l’occurrence celui d’un amour chargé d’une grosse quantité d’émoi, et non d’un petit plaisir cruel consistant à dire qu’à un pétale prêt ce fut la passion… dommage! Disons que beaucoup signifie beaucoup, ni plus ni moins. Bien sur, nous parlons d’amour au sens romantique du terme ou, de manière plus clinique, rigueur scientifique oblige, d’amour génital, c'est-à-dire d’un puissant mélange de tendresse et de sensualité. Ce "beaucoup" nous permettra de suivre la conception freudienne de l’amour, concernant un sujet sain, qui, dixit Laplanche et Pontalis, "…parviendrait dans l’achèvement de son développement psychosexuel, ce qui suppose non seulement l’accès au stade génital, mais le dépassement du complexe d’Œdipe." Autant dire que le corps à corps avec Thanatos sera pour plus tard. C’est le triomphe d’Eros, pulsion de vie à tous les étages, amour et confort en somme, misère du quantifiable diront les pauvres malheureux n’ayant pas la chance d’avoir achevé leur développement psychosexuel.

                   Maintenant, motif de notre déplacement, empoignons le sujet en son cœur, là où tout n’est que palpitation et turgescence, où Eros, remisant son attirail de petit archer, tranche d’un glaive rageur le pétale du beaucoup, provoque Thanatos qui jusque là s’affairait sur celui (le pétale) de la folie. "Je t’aime… passionnément!" La marguerite s’embrase, sous la prairie les pavés, ça va gicler… Freud peut remballer son développement psychosexuel, comme si passion et maturité pouvaient rimer. C’est Ben Hur Eros et Messala Thanatos dans les arènes de l’Olympe. Les fantasmes montent sur leurs chars de signifiants attelés aux plus fougueuses hormones. Alors, quand tout ça démarre, sous les feux de la passion, comme dirait Brassens, il s’agit de lâcher la bride à nos émois. Ici, tout est excès. Que la passion soit d’apparence feutrée, ou puissamment démonstrative, nous sommes hors de raison, hors du temps, dans le vif en somme. Ainsi, au vu des similitudes de fonctionnement entre conscient et inconscient lors de la passion, on peut s’interroger quant à la forte imbrication des deux systèmes, ou bien, d’envisager la passion en tant que symptôme. Le choix de l’objet de notre passion relevant alors d’une sorte d’hystérie au-delà de ses deux structures reconnues, hystérophobie et hystérie de conversion, voyant ici à quel point le symptôme n’est pas nécessairement synonyme de pathologie… pas encore, réservons cela pour le pétale suivant. Donc, à l’identique de l’hystérophobie, l’objet surinvesti est à l’extérieur de nous, sauf qu’à la peur se substitue l’espoir d’une autre jouissance, plus agréable. Mais probablement sommes nous plus proche de l’hystérie de conversion, lorsque le corps sert d’exutoire à un trop plein émotionnel, convertissant l’affect débordant en somatisation. Pour certains auteurs, il est des comportements, tel que les conduites addictives, relevant du psychosomatique. Au passage, addiction et passion peuvent sembler bien proches. Pour d’autres auteurs, auxquels je me rallie, ces manifestations psychosomatiques dans l’agir, devenues mécanismes de défense, que l’on peut nommer "acting-out, passage à l’acte, ou activisme", bien que de nuance assez conséquente, mettent l’accent sur le caractère impulsif et excessif des débordements qu’elles impliquent. La passion est de plus en plus proche, à la toucher dirais-je. Toutefois, cela ne concerne plus les structures névrotiques, mais les organisations limites de la personnalité. Cela me permet de proposer, à l’instar de Freud voyant chez le névrosé un désir de perversion (désir n’est pas devenir), qu’il y est chez le borderline (état limite) un désir de névrose, un désir d’hystérie. Dans tous les cas, bien que la relation d’objet soit fondamentalement différente, force nous est de reconnaître que tout cela ressemble fort à ce que nous appelons au sens commun hystérie. C'est-à-dire, selon Robert, comportement violent (le combat entre Eros et Thanatos) d’une personne qui ne peut plus se contrôler. Ce à quoi Robert ajoute "excitation extrême", autant dire excessif. Effectivement, le propre d’une passion est qu’elle soit incontrôlable, d’où son charme, son parfum de liberté et, par conséquent, la défiance de tous les pouvoirs envers les passionnés en tous genres. Voir les tentatives de l’église pour canaliser, contrôler, normer la relation amoureuse, ou les institutions politiques refusant d’emblée tout idéal à connotation utopique, c'est-à-dire généreux, mais surtout associé à la passion.

                   Quittons à présent le symptôme joyeux, Thanatos a terrassé Eros, la passion devient morbide,la marguerite épluchée n’est plus que cendre incandescente, en place du pétale ne reste que le pal : "je t’aime… à la folie". Je rappelle aux romantiques que nous ne  sommes pas sur une pelouse et que notre marguerite est un instrument de précision qu’il convient de lire avec rigueur. Aussi, ayant précédemment postulé que beaucoup veuille dire beaucoup, l’associant par là même à l’amour génital, usons de la même audace et proposons que folie signifie folie. Car, bien souvent, dans les pâtures, les âmes enfiévrées déplumant la fleur (ce qui est assez connoté symboliquement) supposent de ce pétale en folie un au-delà de la passion, alors qu’il s’agit nettement d’un en-deça. Que pourrait-il y avoir au-delà de la passion? sinon, peut-être, l’homéostase, le néant, la pulsion de mort, en bref le nirvana, le sein de maman. Certes, la chose peut s’entendre, d’ailleurs les bouddhistes l’entendent ainsi. Evidemment, certains esprits tendancieux pourraient suggérer que le bouddhisme a juste trouvé un système plus efficace pour éradiquer la passion que n’a su le faire l’église grâce, entre autre, à la prière et à la confession. Mais, surtout, ce que signifie ce pétale, "je t’aime à la folie", c’est que la passion alors incomprise, sorte de chaude bluette romantique, ne pût exprimer sa véritable nature, ingérable, chaotique, que dans un désordre bouillonnant que l’on nomme alors folie. En somme, le terme passion fait peur puisqu’il s’agit de le scinder en deux parties, l’une romantique, au sens ingénu, que l’on nomme abusivement passion, quoi qu’au fond la passion soit toujours ingénue, et l’autre, relevant clairement de la perte de contrôle de soi, offrant ainsi à qui s’adresse l’effeuillage l’opportunité d’oser le bon gros fantasme. Sauf, que la folie signifie une rupture d’avec le réel. Tandis que la passion, au contraire, consiste plutôt à le recevoir en plein. La folie résulte d’une décompensation de notre structure, un éclatement plus ou moins important de la personnalité. On parle alors de symptôme morbide,

Thanatos occupe le devant de notre scène. Il n’est pas besoin d’aller très loin pour voir à l’œuvre ce qu’il est dorénavant difficile de nommer passion, lorsque, dirait Lacan, notre "amour du signifiant", c'est-à-dire notre désir de trouver l’objet de notre fantasme, ne nous tire plus vers la vie, où l’hormone est festive, mais nous propulse dans les affres de la mortification, où l’on doit expier par le symptôme de ce vivant qui s’obstine en nous. Bien entendu, l’ensemble de ce qui précède concerne la passion, quel qu’en soit l’objet, qu’il s’agisse de ces yeux chavirant mon âme, et le reste, de cette quinte flush qui à chaque table m’accompagne, de cette dissonance impensable qui me montre enfin l’endroit du décor, et, pourquoi pas, tant qu’à assumer mon désir de perversion, la philosophie, etc… Tout cela, et d’autre, peut être objet de passion, mais aussi de folie, de morbidité, quand l’objet en question, devenu instrument contondant, sert à fracasser l’être. S’il m’est difficile en ce cas de parler de passion c’est qu’il est de la nature du vivant de faire son possible pour le rester. C’est les pulsions de vie, que Freud, justement, nomma aussi Eros. Bien entendu, il n’est pas de mon propos de dire que les pulsions de mort soient contre nature, mais lorsqu’elles s’imposent durablement nous basculons dans la pathologie, dans le morbide, et que cela n’est plus grand rapport avec la passion. Bien que ladite passion nous place hors de ce qu’il est convenu d’appeler le raisonnable, je pense malgré tout qu’elle est indispensable pour approcher tout ou partie de la raison, agrandissant ainsi notre espace de liberté, d’où sa nature subversive qui, je crois, est indissociable de la notion de passion.

                   Pour finir, et afin d’ouvrir le débat, je me permet de suggérer ces questions: Peut-on envisager un objet de passion qui ne grandisse celui qui la développe? Cette question en appelle d’ailleurs une autre: Est-ce l’objet qui crée la passion, ou bien la passion qui crée l’objet? Et une petite dernière, pour le fun: Serait-il judicieux de tendre vers un monde sans passion?

                   Quant au dernier pétale, "je t’aime… pas du tout", il est à n’en pas douter le plus raisonnable, n’étant là que de relancer le jeu, la machine à fantasme, quitte à cueillir une nouvelle marguerite, que l’on déshabillera avec passion…

 

                                                                                                                  

                                                                                                                           GG 

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