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29 mai 2010 6 29 /05 /mai /2010 19:52

 

 

Le voyeur est celui qui cherche à pénétrer du regard l'intimité de l'autre, ses affects, sa nudité, ses secrets... Affiche voyeurismebref, son désir, ce qui l'anime. Pour ce faire, la présence du voyeur ne doit pas influencer la scène qu'il observe, choisissant généralement de se dissimuler, quoi que pouvant aussi exploiter le caractère exhibitionniste du (des) protagoniste(s) de l'action. Ce que recherche le voyeur est donc ce qui ne doit pas être vu, ce qui ne peut se voir, ce que l'autre cache, ou ignore, ou n'ose, de son propre désir (voir le texte d'introduction au débat « le désir » -Lien-).


Nous voyons donc, si j'ose dire, que le voyeur est un explorateur de l'âme, cherchant à percer du regard le mystère de l'être, tel l'enfant partant à la découverte du monde, cherchant la source de ce désir incompréhensible qui meut ces adultes dont il dépend, recréant pour lui-même les scènes observées, s'identifiant, projetant son propre désir, et toujours en quête d'en savoir plus, jusqu'à trouver, jusqu'à voir l'hypothétique adéquation du désir et du langage, du visible et de l'invisible. Puis, en pleine progression, par  à-coups de scénarios imaginaires, sur le chemin d'une connaissance encore irrésolue, pas encore vue, arrive alors la pudeur, l'interdit, où l'on nous stipule qu'il est des choses qui ne peuvent être vues ; c'est la fin de l'innocence, la découverte du bien et du mal, illustrée dans notre mythologie par l'exclusion d'Adam et d'Eve du jardin d'Eden, après que ces derniers aient accédé à la connaissance du bien et du mal en cédant à la tentation de goûter au fruit défendu, prenant alors conscience de l'indécence de leurs nudités. Jusque là, donc, tout était regardable, notre pulsion de (sa)voir pouvait s'exprimer librement, seulement contrainte par notre capacité d'observation et d'imagination. Mais Dieu, seul habilité par lui-même au voyeurisme, à la connaissance, jaloux de sa prérogative, nous frappa de sa loi. Nous perdions le Paradis en accédant au savoir, un savoir pourtant bien incomplet, mais que la pudeur (partie de ce savoir) nous empêche dorénavant d'approfondir. Désormais, interdit de séjour dans ce jardin d'Eden partageable à plusieurs, nous n'avons d'autre choix que de nous cultiver un jardin secret, bien qu'il y pousse à présent la mauvaise herbe semée par notre faute originelle, un jardin qu'il nous faut alors protéger des regards et de cette inclination voyeuriste (pulsion de savoir) que nous avons hérité de nos temps mythologiques.


En somme, l'élément central de ce jardin secret que chacun cultive pour lui-même est le manque, un vide, c'est à dire ce besoin inassouvi qu'enfant nous avions de pénétrer au cœur du désir de l'autre, empêché dans notre quête par la loi, le langage, l'ordre symbolique, la morale, la pudeur, et qu'autour de ce manque, la même loi nous intimât de clore notre jardin et d'enfiler un vêtement. Pourtant, c'est de là que nous venons, de ce jardin troué, du désir de l'Autre, qu'il s'agisse de celui de nos parents ou de la culture en général : « la tradition dont on hérite » (Winnicott), nous obligeant à ce constat plus ou moins conscient qu'il y a de l'Autre en nous, autrement dit, ce même trou, ce même vide, qu'on le nomme « inconscient », désir de l'Autre, ou d'essayer de le cerner au plus près : « objet » (Lacan), resserrant un peu la clôture. Le voyeur est donc celui qui escalade la palissade du jardin de l'Autre pour tenter d'observer ce qu'enfant il n'a pas fini de voir, de comprendre, c'est à dire l'invisible, l'indicible, ce qui le constitue, l'inobservable, son but étant de combler son propre manque en essayant de voir le manque en l'Autre. Autant dire qu'à observer les bords de ce vide que l'on appelle manque, notre voyeur n'est pas au bout de ses peines, et qu'il à donc tout intérêt de promouvoir quelques excitations relatives à sa quête, l'œil devenant alors l'interface entre l'extérieur et sa libido, rien que de très classique en somme.


Au fond, le voyeur est comme l'artiste, ou le séducteur, ou dans une moindre mesure comme tout-un-chacun, il interroge l'autre, en l'occurrence du regard, pour savoir qui nous sommes, où nous allons, etc., sauf qu'il le fait par effraction, ajoutant ainsi au bénéfice secondaire de son excitation libidinale, celle de la transgression de l'interdit. Mais surtout, à la différence de l'artiste, qui tente d'instaurer un dialogue par l'intermédiaire de sa création, le voyeur, lui, évite la confrontation, à moins de se laisser surprendre, consciemment ou non, auquel cas il passe du statut de voyeur à celui d'exhibitionniste, révélant alors à l'autre, violemment, l'objet de son désir : son regard, interrogeant par là-même le saisissement du regard de l'autre, ce qui est le propre de l'exhibitionnisme, voir le regard, c'est à dire un autre mode de voyeurisme. Ainsi, même s'il y a interaction entre l'observant et l'observé, le dialogue demeure absent. En somme, le voyeur, comme l'exhibitionniste, dans leurs quêtes de savoir (voir ça), fonctionnent de manière profondément archaïque, rejetant pour eux-mêmes ce que l'on considère comme la grandeur du genre humain, le symbolique, le langage, quel qu'il soit. Cela étant, on pourrait aussi dire que pour questionner le réel en nous, le cœur du désir, le symbolique ne soit pas le plus adapté, et que le voyeur soit un petit malin contournant ce barrage au réel qu'est le langage, avec en plus quelques bénéfices secondaires de type libidineux, sauf, tels l'artiste ou le séducteur qui n'excluent pas pour autant lesdits bénéfices secondaires, à considérer que ce soit dans l'entre-les-lignes du symbolique qu'il faille creuser patiemment pour atteindre ce que le voyeur tente de forcer au hasard. Disons que le voyeur en est à ce stade précoce où la pulsion scopique, encore pulsion partielle, ne sait encore pas se transformer en pulsion de savoir, ne parvenant pas à associer le regard et le langage. Du coup, on pourrait dire que le voyeur, immature, avance en quelque sorte à l'aveuglette.


Et puis, il y a cet autre élément central dans le voyeurisme : la honte, quoi qu'aussi placée sous le signe du manque, cette honte perceptible dans les représentations que l'on a du voyeur, accroupi derrière son trou de serrure, ridicule avec ses jumelles dans l'arbre en face de la fenêtre de sa voisine, arbre duquel il ne manquera pas de tomber, ou bien encore, fourbe, lâche, dissimulé sous une obscure capeline, rasant les murs de quelque sombre ruelle afin de cacher sa perfidie, etc... Or, ce qui intéresse le voyeur est justement ce que l'image est susceptible de montrer au-delà d'elle même, et que l'image de sa passion ainsi renvoyée est quant même assez lamentable. Ainsi, avant même que d'être condamné par la justice des hommes protégeant le jardin secret de chacun, il est au préalable frappé d'indignité. Il est comme ce tout jeune enfant prenant conscience de ce que l'image renvoyée par le miroir est la sienne, cherchant dans le regard de sa mère l'interprétation de ce qu'est son double spéculaire, lui-même, et que si le regard de maman ne révèle que dégoût ou raillerie face au reflet de son enfant, celui-ci aura bien du mal à se construire une bonne image de lui-même, condamné dorénavant à la honte. Mais Dolto identifiera un deuxième temps de ce « stade du miroir » décrit par Lacan, plus tardif, et probablement le plus important, le plus traumatique aussi, celui où l'enfant s'aperçoit que le reflet dans le miroir n'est en fait qu'une apparence, un masque derrière lequel est dissimulé l'authenticité de l'être, inaccessible au regard. Le voyeur pourrait alors être cet enfant se refusant d'intégrer la dimension symbolique de l'image, ce masque que l'on peut créer de toute pièce, et traquant désormais sans relâche le réel derrière l'apparence. En bref, il y aurait chez le voyeur un défaut de communication entre l'imaginaire (notre rapport à l'image de soi et des autres) et le symbolique (notre rapport au langage et à la communication).


Peut-être, alors, que la différence entre voyeurisme et exhibitionnisme est ici, dans la prépondérance de l'impact traumatique résultant de l'un des deux temps du stade du miroir, avec donc, toujours pour objet central, le désir de l'Autre comme trouant l'image. L'exhibitionniste serait alors celui qui n'en finit pas de traquer le regard de l'Autre au regard de son propre désir, en sorte d'obtenir réparation de ce premier regard le condamnant à la honte. Quant au voyeur, il cherche dans l'image de l'Autre, là où « ça » manque, les motifs (l'émotif) de ladite condamnation, une sorte de mode d'emploi quant au bon usage de son désir, un désir lui aussi condamné originellement dans le miroir. En somme, l'un et l'autre, d'emblée, furent acculés à la honte, pris dans un genre de dialectique sans parole entre les deux temps du stade du miroir, comme par exemple l'exhibitionniste (plus archaïque) qui interroge sa propre image (trouée), son propre désir, lorsqu'il exhibe l'objet d'un désir adulte (le sien ?) à un enfant, c'est à dire en inversant les rôles tenus dans le miroir originel, mais aussi en essayant de faire « parler » l'image en tant qu'apparence.


Mais peut-on parler de mécanisme pervers pour ce qui concerne le voyeur ? Pour l'exhibitionniste oui, puisqu'il est question d'une intrusion violente dans l'intimité de l'autre, c'est à dire qu'il lui cause du tort, et cela sans réelle culpabilité, même s'il sait ses actes répréhensibles. Mais le voyeur, lui, ne dérange personne, puisque faisant en sorte de ne pas être vu, ou d'une présence consentie, sauf s'il a quelque tendance exhibitionniste. En somme, ici, ce serait plutôt nous qui serions pervers, condamnant à nouveau le voyeur à la honte, c'est à dire en causant du tort à cet autre qui, finalement, ne nous a rien fait, et cela sans la moindre culpabilité, et même avec le sentiment du devoir accompli. A moins que l'idée même de voyeur ne personnifie l'œil de Caïn, cet œil qui nous renvoit sans cesse à notre funeste inclination au mal, à ce que l'ordre symbolique nous intime de cacher, et que nous aussi aimons tant voir chez les autres lorsque tombent les masques. En somme, le voyeur n'est pervers qu'au regard de notre propre désir de voir, c'est à dire de cette tendance à nous absoudre du langage afin de privilégier l'image, une image défaite de ses oripeaux symboliques, l'éthique, la morale, le vêtement, et de chercher en l'Autre (nu) la nature de notre désir.


Qu'avons nous à cacher, sinon du langage ? Ce n'est pas notre nudité qui pose problème, mais l'interprétation que nous en faisons, et pareillement de notre désir mis en acte. Ce n'est pas ce que le voyeur voit qui dérange, mais les mots qu'il serait susceptible d'y accoler. Or, justement, le propre du voyeur est d'essayer de voir par delà le symbole, au delà du langage et des masques qui nous constitue, auquel cas ce sont nos mots qui sont accolés à ce que nous supposons de son désir, c'est à dire le notre, coupable, voire honteux. Bref, le voyeur (immature) est victime de ce que l'on ne peut reconnaître en nous et que nous projetons en lui afin de le manipuler dans le symbolique, ce que Mélanie Klein a nommé « identification projective », et qui est un des marqueurs de la perversité. Cela pour dire que le voyeurisme est une notion éminemment morale, sinon perverse en soi, qui n'existe d'ailleurs que dans le genre humain (perverti par le symbolique), les autres animaux n'ayant rien à cacher au regard d'un quelconque ordre moral.


Par ailleurs, mais peut-être n'est-ce là qu'une impression, j'ai le sentiment que le voyeur tel qu'imagé plus haut, ridicule et lâche dans sa posture désirante, n'existe plus vraiment, alors même que notre société est reconnue comme favorisant la perversité, allant jusqu'à inciter les individus à se dédouaner de leurs « petites » bassesses si le motif en est certaines formes de réussites personnelles. Il est alors probable que ce que nous appelons société de l'image ne soit pas étrangère à cela, où l'on peut désormais voir en toute impunité ce que le voyeur de jadis n'aurait osé espérer, du plus intime au plus gore, et en gros plan. Cela étant, même si l'on admet qu'il n'y a pas de mal à pouvoir ainsi donner libre cours à notre pulsion scopique, ce que j'aurais tendance à croire, bien que les images proposées soient lourdement signifiantes au regard du symbolique, il y a sans doute corrélation entre cette « perversité » devenue monnaie courante et cette autre ci, nettement plus affirmée dans son caractère pervers, consistant à remplacer la solidarité (ce qui fonde la nécessité du groupe chez l'animal social que nous sommes) par la seule valeur économique, piétinant au passage, sans honte ni culpabilité, les individus inadaptés à ce que l'on peut alors qualifier de destruction du lien social. Ladite corrélation serait alors l'exploitation outrancière des sus-mentionnées images lourdement symboliques, flattant ainsi nos penchants voyeuristes afin de nous révéler du désir de l'Autre que la seule nécessité de nous plier à cette logique eugéniste (détournement de l'idée de sélection naturelle selon Darwin, où seuls les individus les plus forts survivent, sélectionnant donc pour la postérité le meilleur de l'espèce. Sauf que ladite sélection n'a en l'occurrence rien de naturelle). Ainsi, le voyeur n'est plus regardeur, mais lecteur, pervertissant jusqu'à son désir le plus intime, le choc des photos incarnant alors le poids des mots. On est pas loin de Big Brother.


Pour finir, et peut-être de lancer le débat, pourrions-nous opposer ceux qui me semble nos deux plus éminents représentants contemporains situés à chaque extrémité de ce parcours allant de la pulsion scopique (voir) à la pulsion de savoir (parler) : le paparazzi et le psychanalyste, chacun éveillant la suspicion par leur capacité de débusquer le réel, le désir de l'Autre, l'un derrière l'image, l'autre derrière le mot. Notre suspicion proviendrait alors de ce que nous savons intuitivement que de trifouiller le réel est susceptible de modifier le cours de notre réalité, et que nos deux compères sont supposés savoir faire cela. Mais alors, pourquoi ne pas nous défier de l'artiste, lui qui traque le réel par la transformation de l'image en symbole, et inversement ? Disons, peut-être, que l'artiste offre une image de lui, alors que le psychanalyste et le paparazzi cherchent d'emblée par delà l'image que nous présente l'autre. Pourtant, au travers de sa propre image, c'est le désir de l'autre (l'Autre) que l'artiste interroge, ne donnant de lui que pour atteindre au dit désir. Alors, finalement, le voyeur ne serait-il que cet artiste inachevé, paparazzi et psychanalyste en devenir, n'ayant pu trouver de lien entre l'image et le symbole, coincé dans sa posture honteuse, désigné en tant que pervers, et ne sachant questionner un public qu'il ne peut qu'observer ?


GG

 

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commentaires

J
Je devais absolument prendre un moment pour vous remercier d'avoir écris cet article, j'ai cherché à comprendre en profondeur la source du voyeurisme et vous avez su l'exprimer avec brio, vous avez mis des mots juste sur une tendance difficile à s'expliquer. Merci énormément pour ce partage, votre texte m'a permis de cheminer
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R
Très bon article merci !
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C
Merci à vous